L’intelligence des équipes de travail
Tout a commencé, il y a quelques années, dans les bouchons parisiens. Alors que j’assistais péniblement mais avec humour à ce spectacle d’auto tamponneuse quotidien, il m’est apparu clairement à quel point l’intelligence individuelle pouvait être le terreau de la bêtise collective.
Je m’explique. Imaginez : un carrefour bouché de chez bouché. Chacun, au volant de son ego-mobile, cherchant à passer coûte que coûte. Vous vous dites :
« mais si nous attendions deux minutes, quand bien même le feu est vert, afin de ne pas boucher le carrefour, puisque dans tous les cas nous ne le franchirons pas (dans certains pays, il y a des bandes au sol sur les carrefours qui indiquent que vous n’avez pas le droit de rester immobile dessus, ça aide peut-être) »…
Mais vous observez que non, sans doute personne ne se fait cette réflexion. Dès que le feu passe au vert, chacun fait vrombir son carrosse pour faire un mètre cinquante et s’immobiliser aussitôt (si d’aventure, vous ne le faîtes pas, suite à votre réflexion interne, vous risquez de vous sentir un peu seul et en milieu hostile)…
Et voilà ! Objectif accompli, vous êtes à l’arrêt. Le feu est passé au vert pour ceux qui viennent de votre droite et vont sur votre gauche, et qui s’empressent à leur tour de faire leur mètre cinquante. Alors que 3 ou 4 minutes auraient suffit à débloquer la situation si chacun s’était abstenu de s’engager sur le carrefour, la situation va perdurer pendant des heures….
La conclusion en est simple : dans certains cas, en cherchant à maximiser nos intérêts individuels, nous arrivons à créer une situation qui engendre le résultat inverse à celui attendu. Quels sont ces mécanismes, ces causes qui nous poussent à être bêtes, ensemble ? Quelques pistes :
- La peur
Trouvant sa source dans nos plus anciens instincts, elle siège avec nos réflexes de survie. Sans doute première génératrice de situations conflictuelles, internes comme externes, c’est la racine qui nous maintient dans notre optimisation individuelle au détriment d’une vision holistique et au long terme.
Quels remèdes à la peur ? Aucun, ce n’est pas une maladie, mais une émotion qui trouve son origine dans le réflexe conditionné de survie. Il s’agit en premier lieu de la reconnaître quand elle survient. Comme toute émotion, le simple fait de la voir et de la reconnaître c’est déjà s’en dissocier d’une certaine façon. On passe du « je suis peur » à « la peur est là »… une ouverture vers : « la peur … passe ».
Demandons-nous, de quoi avons-nous réellement peur ? Est-ce véritablement, de ne jamais passer ce carrefour ? De ne pas arriver à l’heure ?… Regardons cette peur, regardons là dans notre corps… Cela suffit à la laisser passer son chemin et à retrouver détente, confiance et sérénité. En acceptant l’émotion dans notre corps et en renforçant notre confiance (en nous même, en les autres, en la vie), nous créons un cercle vertueux et devenons à même de faire un choix rationnel plutôt qu’émotionnel.
Prologue à la peur, la consensualité, nous l’intégrons dès notre plus jeune âge. Pour se faire accepter des autres, du groupe, nous apprenons qu’il nous faut adopter les codes, les pratiques (et même les pensées) en vigueur. La peur d’être jugé et rejeté corrélée à notre besoin d’estime et d’appartenance, peut nous maintenir dans une identité qui n’a jamais été véritablement choisie.
C’est ce sentiment qui va me faire avancer, sans y réfléchir, droit dans le bouchon, lorsque le feu passe au vert, même si en mon fort intérieur je considère cette action comme contre-productive.
Parce que, reconnaissons le, il faut une bonne dose de courage pour aller à l’encontre du jugement des autres et de la norme sociale (pression collective).
- Le manque de communication
Paradoxe de notre époque d’ultras-connectés, nous sommes parfois incapables de faire passer une information simple à notre voisin. Si seulement je pouvais faire passer cette idée à tous les automobilistes du carrefour, peut-être arriverions nous à nous mettre d’accord pour débloquer la situation. Car nous poursuivons pourtant, a priori, le même objectif.
Et c’est peut-être là le point névralgique de ce dilemme du prisonnier version klaxons et pots d’échappements : la communication.
Plus globalement, cette petite histoire ne serait-elle pas une métaphore de la situation actuelle de l’humanité concernant les embouteillages environnementaux, sociaux et économiques dans laquelle elle se trouve ? En théorie des jeux, on dit qu’un jeu est à information complète si chaque joueur connaît, lors de la prise de décision : ses possibilités d’action, les possibilités d’action des autres joueurs, les gains résultants de ces actions, les motivations des autres joueurs… On constate bien que dans ces je(ux) d’ego-(i)mobiles que l’information est loin d’être complète. Alors pour y remédier et favoriser une meilleure circulation (et donc moins de bouchons) : osons communiquer !
… Alors comment faire ?
Et bien d’abord partons du principe que les réponses ne se trouvent pas dans le faire mais dans l’être. Le premier découlant de l’enracinement dans ce dernier. Posons-nous la question derrière notre volant : qui suis-je profondément ? Il se peut que nous ayons suffisamment de temps d’arrêt pour trouver une réponse qui nous inspire une stratégie d’action inattendue. Il se peut que, sans que nous l’ayons vu venir, nous nous retrouvions embarqué dans un élan d’être communicatif qui embrasse peurs et conventions sur son pas-sage.
J’ai peur de ce que je m’apprête à faire : quelque chose que je n’ai jamais fais, que je n’ai jamais vu personne faire, qui n’est pas conventionnel et qui me met en danger… J’accueille cette peur depuis mon centre et l’utilise pour nourrir mon désir d’être. En temps normal, cette peur me contraint à l’immobilisme. Mais là, elle devient la force de déséquilibre qui me fait faire un pas de côté. Le pas de côté vers l’inconnu, hors de ma zone de confort, là où la magie peut se produire. La suite ressemble à un film : je me vois mettre mon frein à main et allumer les clignotants, écrire quelque chose sur un carton qui trainait sur la banquette arrière, ouvrir la portière, et me voilà dehors, dans le feu de l’action, arborant ma pancarte, tel un manifestant des autres possibles : « Proposition d’action collective : rester à l’arrêt pendant deux feux consécutifs pour permettre au carrefour de se désengorger. Si vous êtes d’accord allumez vos warning afin de célébrer notre intelligence collective » …
Chiche ?